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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

Le Jour des Fourmis (66 page)

BOOK: Le Jour des Fourmis
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Pour résoudre votre problème de
cancer, vous auriez dû engager des poètes, des philosophes, des écrivains, des
peintres. Bref, des créateurs dotés d’intuition et d’inspiration. Pas des gens
qui ont appris par cœur toutes les expériences de leurs prédécesseurs.

Votre science classique est
dépassée.

Votre passé vous empêche de voir
votre présent. Vos réussites d’antan vous empêchent de réussir maintenant. Vos
gloires anciennes sont vos pires adversaires. J’ai vu vos scientifiques à la
télévision. Ils ne font que répéter des dogmes et vos écoles ne font que brider
les imaginations avec des protocoles d’expérimentation à jamais figés. Ensuite,
vous faites passer des examens à vos étudiants pour vous assurer qu’ils ne
s’aventureront pas à les modifier.

Voilà pourquoi vous ne savez pas
guérir le cancer. Pour vous, tout est du pareil au même. Puisqu’on est parvenu
à vaincre le choléra d’une certaine manière, on parviendra à vaincre le cancer
en usant des mêmes procédés.

Pourtant, le cancer mérite qu’on
s’y intéresse en tant que tel. C’est une entité à part entière.

Je vais vous fournir la solution.
Je vais vous apprendre comment nous, fourmis que vous écrasez si aisément, nous
avons résolu le problème du cancer.

Nous avons remarqué qu’il y avait
parmi nous quelques rares individus atteints du cancer et qui n’en mouraient
pas. Alors, au lieu d’étudier la multitude de ceux qui en mouraient, nous avons
commencé par étudier ceux-là, les rares qui étaient touchés et, soudain,
guérissaient sans raison. Nous avons recherché quel était entre eux le plus
petit dénominateur commun. Nous avons cherché longtemps, très longtemps. Et
nous avons découvert ce qu’avaient de commun la plupart de ces
« miraculés » ; des capacités à communiquer avec leur entourage
plus fortes que celles de la moyenne des fourmis.

D’où une intuition : et si
le cancer était un problème de communication ? De communication avec qui,
me direz-vous ? Eh bien, de communication avec d’autres entités.

Nous avons cherché dans le corps
des malades : il n’y avait aucune entité palpable. Pas de spore, pas de
microbe, pas de ver. Une fourmi eut alors une idée géniale : analyser le
rythme de propagation de la maladie. Et nous nous sommes aperçues que ce rythme
était un langage ! La maladie évoluait selon une onde qu’on pouvait
analyser comme une forme de langage.

Nous disposions donc du langage
mais pas de son émetteur. Ce n’était pas important. Nous avons décrypté le
langage. En gros, il signifiait : « Qui êtes-vous, où
suis-je ? »

Nous avons compris. Les individus
frappés par le cancer sont en fait des réceptacles involontaires d’entités
extraterrestres non palpables. Des extraterrestres qui ne seraient en fait
qu’une onde communicante… En arrivant sur terre, cette onde n’aurait eu qu’une
seule idée pour parler : reproduire ce qui l’entourait. Et comme elle
avait atterri dans des corps vivants, l’onde extraterrestre reproduisait les
cellules qui l’environnaient afin d’émettre des messages du type
« Bonjour, qui êtes-vous, nos intentions ne sont pas hostiles, comment se
nomme votre planète ? ».

C’est ça qui nous tuait :
des phrases de bienvenue, des questions de touristes égarés.

Et c’est aussi ça qui vous tue.

Pour sauver Arthur Ramirez, il
vous faut fabriquer une machine « Pierre de Rosette » semblable à
celle qui vous permet de communiquer avec les fourmis mais destinée, cette
fois, à traduire le langage du cancer. Étudiez ses rythmes, son onde,
reproduisez-les, manipulez-les, pour émettre à votre tour une réponse.
Évidemment, vous n’êtes pas obligé de croire cette version. Mais vous ne
perdrez rien à essayer cette méthode.

Jacques Méliès, Laetitia Wells et les
Ramirez furent déconcertés par cette étrange proposition. Dialoguer avec le
cancer ?… Cependant, Arthur, le maître des lutins, était condamné à ne
plus vivre que quelques jours et dans d’affreuses conditions. Certes, tout en
eux leur disait : c’est une absurdité. Cette fourmi n’a aucune prérogative
pour nous donner des leçons de médecine. Ce raisonnement est de toute façon
hors de propos. Mais Arthur allait mourir. Alors pourquoi ne pas tenter
d’exploiter cette voie a priori complètement absurde ? Ils verraient bien
où elle les conduirait !

218. CONTACTS

Mardi, 14 h 30. Conformément
au rendez-vous pris longtemps à l’avance, le commissaire Jacques Méliès est
reçu par M. Raphaël Hisaud, ministre de la Recherche scientifique. Il lui
présente M
me
Juliette Ramirez, M
lle
Laetitia Wells et une
bouteille où s’agite une fourmi. L’entretien était prévu pour durer vingt
minutes, il se prolongera huit heures et demie. Et huit heures encore, le
lendemain.

Jeudi, 19 h 23. Le
président de la République française, M. Régis Malrout, reçoit dans son salon
M. Raphaël Hisaud, ministre de la Recherche scientifique. Au menu, jus
d’orange, croissants, œufs brouillés et communication d’un message que le
ministre de la Recherche estime capital.

Le président se penche au-dessus des
croissants :

— Vous me demandez quoi ?
De discuter avec une fourmi ? Non, non et mille fois non ! Même si,
comme vous le prétendez, elle a sauvé dix-sept personnes enfermées sous une
fourmilière. Vous rendez-vous bien compte de vos propos ? Cette affaire
Wells vous monte à la tête ! Allons, je consens à oublier la teneur de cet
entretien et vous, ne me reparlez plus jamais, mais plus jamais, de votre
fourmi !

— Ce n’est pas n’importe quelle
fourmi. C’est 103
e
. Une fourmi qui a déjà parlé avec des humains.
C’est aussi la représentante de la plus grande fédération myrmécéenne de la
région. Une fédération forte de cent quatre-vingts millions d’individus !

— Cent quatre-vingts millions
de quoi ? Vous êtes fou, ma parole ! De fourmis ! D’insectes.
Ces bestioles qu’on écrase avec les Doigts… Ne soyez donc pas dupe de quelques
tours de passe-passe montés par des farceurs, Hisaud. Personne ne croira jamais
à votre histoire. Les électeurs penseront que nous cherchons à les endormir
avec des contes à dormir debout pour mieux les berner avec de nouvelles taxes.
Sans parler des réactions de l’opposition… J’entends déjà les risées !

— On connaît très peu de choses
des fourmis ! objecta le ministre Hisaud. Si nous nous adressions à elle
comme à des êtres intelligents, nous constaterions sûrement qu’elles ont
beaucoup à nous apprendre.

— Vous voulez parler de ces
théories loufoques sur le cancer ? J’ai lu ça dans les journaux à
sensation. Vous n’allez quand même pas me faire croire que vous prenez cela au
sérieux, Hisaud ?

— Les fourmis sont les animaux
les plus répandus sur terre, ce sont sûrement parmi les plus anciens et les
plus évolués. Durant cent millions d’années, elles ont eu le temps d’apprendre
beaucoup de choses que nous ignorons. Nous les hommes, ne sommes sur terre que
depuis trois millions d’années. Et notre civilisation moderne n’a tout au plus
que cinq mille ans. Nous avons sûrement à apprendre d’une société aussi
expérimentée. Elles nous permettent déjà d’imaginer notre société dans cent
millions d’années.

— J’ai déjà entendu ça mais
c’est stupide. Ce sont des… fourmis ! Vous m’auriez dit des chiens, à la
limite je comprendrais. Un tiers de nos électeurs ont des chiens, mais des
fourmis !

— Nous n’avons qu’à…

— Cela suffit. Mettez-vous bien
ça dans le crâne, mon vieux ! Je ne serai pas le premier président de la
République du monde à parler avec une fourmi. Je ne tiens pas à ce que toute la
planète se tienne les côtes à mon propos. Ni mon gouvernement ni moi-même ne
nous ridiculiserons avec ces bestioles. Je ne veux plus entendre parler de ces
fourmis.

Le président s’empare violemment
d’une fourchetée d’œufs brouillés et l’engloutit.

Le ministre de la Recherche reste
impassible.

— Non, je vous en parlerai
encore et encore. Jusqu’à ce que vous changiez d’avis. Des gens sont venus me
voir. Ils m’ont tout expliqué avec des mots simples et je les ai compris. La
chance nous est aujourd’hui donnée de sauter par-dessus les siècles, de faire
un grand bond vers le futur. Je ne la laisserai pas passer.

— Balivernes !

— Écoutez, je mourrai un jour,
vous mourrez aussi. Alors, puisque nous sommes voués à disparaître, pourquoi ne
pas laisser une trace originale, différente, de notre passage sur cette
Terre ? Pourquoi ne pas passer des accords économiques, culturels et même…
militaires avec les fourmis ? Après tout, c’est la seconde plus forte
espèce terrienne.

Le président Malrout avale un toast
de travers et tousse.

— Et pourquoi pas inaugurer une
ambassade de France dans une fourmilière, pendant que vous y
êtes !

Le ministre ne sourit pas.

— Oui, j’y ai pensé.

— Incroyable, vous êtes
incroyable ! s’exclame le président en levant les bras au ciel.

— Oubliez qu’il s’agit de
fourmis. Pensez à elles comme à des extraterrestres. Ce ne sont pas des
extraterrestres mais des intraterrestres. Leur seul tort est d’être minuscules
et d’occuper cette planète depuis toujours. Alors nous ne nous apercevons plus
de ce qu’elles ont de merveilleux.

Le président Malrout le fixe droit
dans les yeux :

— Que me proposez-vous ?

— De rencontrer officiellement
103
e
, répond Hisaud sans aucune hésitation.

— Qui est-ce ?

— Une fourmi qui nous connaît
bien et qui pourra servir d’interprète, le cas échéant. Vous l’invitez à
l’Élysée, pour un déjeuner informel par exemple – elle mange une goutte de miel
tout au plus. Peu importe ce que vous lui direz, ce qui compte, c’est que le chef
suprême de notre nation s’adresse à elle. M
me
Ramirez vous fournira
le traducteur phéromonal. Vous n’aurez donc aucun problème technique.

Le président arpente la pièce,
contemple longuement les jardins. Il semble peser le pour et le contre.

— Non. Décidément, non !
Je préfère manquer l’occasion de marquer mon époque plutôt que de m’exposer au
ridicule. Un président qui parle aux fourmis… Que de gorges chaudes en
perspective !

— Mais…

— C’est fini. Vous avez assez
abusé de ma patience avec vos histoires de fourmis. La réponse est non,
définitivement non. Au revoir, Hisaud !

219. ÉPILOGUE

Le soleil est à son zénith. Une vaste
clarté s’étire sur la forêt de Fontainebleau. Les toiles d’araignées barbares
se transforment en napperons de lumière. Il fait chaud. Des petits êtres
insignifiants frémissent sous les ramures. L’horizon est cramoisi. Les fougères
s’endorment. La lumière frappe tout et tous. Ce rayonnement intense et pur
sèche la scène où s’est déroulée une aventure parmi tant d’autres.

Et, bien au-delà des étoiles, au fin
fond du firmament, la galaxie tourne lentement, indifférente à ce qui se passe
dans sa poudrée de planètes.

Pourtant, dans un petit village
myrmécéen de la Terre, c’est la dernière Fête de la Renaissance de la saison.
Quatre-vingt-une princesses de Bel-o-kan décollent pour sauver la dynastie.

Deux humains qui passent par là les
aperçoivent.

— Oh, Maman, t’as vu toutes ces
mouches !

— Ce ne sont pas des mouches.
Ce sont des reines fourmis. Rappelle-toi le documentaire que tu as vu à la télé.
C’est leur vol nuptial, elles vont se faire rejoindre en vol par les mâles. Et
ensuite, certaines partiront peut-être au loin créer des empires.

Les princesses montent haut dans le
ciel. Haut, toujours plus haut, pour échapper aux mésanges. Les mâles les
rejoignent. Ensemble, ils montent, montent, montent. Cette clarté les absorbe
et, peu à peu, ils se fondent dans les rayons ardents de l’astre solaire.
Chaleur, clarté, lumière. Tout devient blanc, d’un blanc éblouissant.

Blanc.

 

FIN

 

GLOSSAIRE

Abeille
 : voisins volants. Les abeilles
communiquent par la danse tourbillonnante eh suspension ou par la danse sur
cire.

Acacia cornigera
 : arbre qui est en fait
une fourmilière vivante.

Acide formique
 : arme de jet des fourmis
rousses. L’acide formique le plus corrosif est désormais concentré à 60 pour
cent.

Age
 : une fourmi rousse asexuée vit en
moyenne 3 ans.

Bataille du « Petit nuage gris
 » :
en l’an 100 000 667 du calendrier fédéral, premier choc entre les
troupes fourmis rousses et les habitantes de la cité d’or.

Bel-o-kan
 : cité centrale de la
fédération rousse.

Belo-kiu-kiuni :
mère de la reine
Chli-pou-ni. Première reine à avoir entretenu un dialogue avec les Doigts.

Bibliothèque chimique
 : invention
récente. Lieu de stockage de phéromone mémoire.

Chli-pou-ni
 : Reine de Bel-o-kan.
Initiatrice du mouvement évolutionnaire fédéral.

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